Deux artistes, Sébastien Pons et Laurent Mazuy, exposent. Amicalement réunis ils proposent, puisqu’’ils sont artistes, des œuvres d’’art. Le visiteur se demandera : "est-ce de l’’art ?", si l’’artiste est peu connu. Il se dira : "c’’est de l’’art", si l’’artiste est connu. La première question touche à la "valeur cultuelle" ; la seconde à la "valeur d’’exposition", tel que le dirait Walter Benjamin. Mais les deux se mêlent, plus probablement. L’’art est "décoratif", déclare Leroi-Gourhan, en examinant la naissance de cette expression. Nous dirons que l’’art est avéré si nous pouvons nous perdre dans l’’objet censé supporter son signe : On nous accordera qu’’une œuvre d’’art n’’est que l’’accueil matériel d’’un lieu, qui ne l’’est pas. Nous ne pouvons nous contenter d’’un seul chef-d’œuvre. Par là, nous ouvrons la porte à la reproduction de ce geste à chaque fois unique qui peut accueillir l’’art. De fait, la reproduction de l’œuvre ou du geste artistique est inscrite dans l’’histoire des civilisations. Et même le fétiche, façonné à l’’identique, est reproduit au cours des siècles. La reproduction touche aux notions d’’authenticité, et d’’origine. Et c’’est avec ces deux notions que la valeur cultuelle nous pétrifie. Mais l’’authenticité et l’’origine sont dissoutes dans le négatif de la Marilyn de Warhol. On sait que tout est parti d’’un négatif, et qu’’en se mettant à sérigraphier à grands tirages ses images, Warhol a baptisé l’’endroit où il pratiquait son art "la fabrique" (factory). De fait, la notion d’’art faisait un nouveau bond, qualitatif, et devenait industriel. Fabrique implique manufacture, par conséquent, on y travaille à la main. Mazuy, à partir d’’une peinture, donc d’’un positif, travaille l’’image de la peinture par le prisme du computer ; retouche ici et là, et obtient donc un tirage numérique sur toile synthétique (fibre de verre). Le point d’’un Seurat se retrouve dans le pixel, puisque le pixel est la plus petite surface homogène constitutive d’’une image (en informatique).
La tache de peinture se répète ; et c’’est la première déclinaison sur la peinture à laquelle procède Mazuy (mais cet ordre n’’a rien d’’obligé). Nous avons ici le procédé, le matériau, mais pas la matière. La deuxième déclinaison ("vraie" peinture), respecte le contrat relatif à toute "valeur d’’exposition" ; nous pouvons, du coup, laisser la "contemplation" opérer d’’elle-même. Notons cependant que la tradition y englobe le contemporain technique (survol de graffs et de quadrilatères morphés). La troisième déclinaison interroge, depuis la photographie, la peinture ; qu’’il faut rechercher dans le cadre, dans sa primitivité (suprématisme et lit de couleurs). On distinguera à l’’arrière-plan le témoin pictural qui fait l’’intérêt de la prise. Les rectangles municipaux ne savent pas ce qu’’ils convoquent.
Avec les crânes de Pons, qui propose trois "kit", chacun à terminer soi-même, s’’affirme une critique de cette habitude, en art dit contemporain, d’’obliger le spectateur, l’’amateur, le curieux, à finir la pièce lui-même ; et c’’est la fameuse interactivité. Du coup, l’’artiste se déresponsabilise toujours un peu plus. C’’est le fameux "chacun y voit ce qu’’il veut". Or si l’’artiste a besoin d’’autrui pour terminer ou continuer son œuvre, cette logique, menée à bout, finit par l’’exclure.
Et avec la proposition de Pons c’’est l’’acheteur qui devient artiste (c’’est le fameux "Tout homme est un artiste", de Beuys). Mais l’’ironie, ici, est d’emblée assumée ; la symbolique acquise, c’’est la mort. La mort de quelque chose. Que l’’acheteur emmène avec soi.
Nous retrouvons ces questions sur l’’authenticité et l’’origine avec l’’Acropole, et l’’animal mort. Que vient faire le touriste à l’’Acropole ? Il vient y chercher le fantasme du temps ancien, de l’’empreinte, de la dévotion. Ce fantasme est maintenu à force d’’échafaudages et de remplacement. Combien de pierres sont originales à l’’édifice ? L’’herbe est-elle la même ? Les crânes, l’’Acropole, de même que le pivert dégripant (le rébus produit une métaphore organique : la résurrection du pivert, puisqu’’il est gripé), interrogent la même chose, la mort. Au mieux la fausse vie. Fausse vie de l’’art, fausse vie du mythe, fausse vie tout court. Et le cuisinier n’’est pas moins grinçant.